Ce vendredi, les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 participeront à un Conseil européen extraordinaire afin de discuter des événements dramatiques en Lybie et de la politique européenne vis-à-vis du monde arabe. Il est en effet urgent de se pencher sur le travail entamé par les Ministres des affaires étrangères sur le futur de notre relation avec une région à la fois proche et vitale.
Dans un contexte qui rappelle parfois celui de nos relations avec le bloc soviétique, des Européens de bonne foi ont souvent été contraints à des positions de compromis avec des régimes peu recommandables, dans l’espoir que les avancées, aussi fragiles soient-elles, serviraient la cause de la démocratie, de l’intégration économique et de l’ouverture politique.
La révolution du jasmin en Tunisie et les mouvements qui ont suivi témoignent aujourd’hui plus que jamais de l’universalité des aspirations à la liberté et au respect des droits fondamentaux. Le point commun de ces révolutions est qu’elles ne sont pas portées par des extrémistes religieux, mais par des groupes spontanés faits de jeunes, de femmes, de travailleurs, de membres de syndicats, et de divers représentants de la société civile. Pris de court, les mouvements islamistes n’ont pas pu y jouer un rôle de premier plan. Le printemps arabe n’est donc pas islamiste.
Sans pouvoir savoir où ces révolutions populaires nous conduiront, ni vouloir nous substituer à la volonté de ces populations qui aspirent à prendre leur destin en main, il est clair que ces bouleversements historiques dans le monde arabe constituent une opportunité qu’il nous faut saisir. L’Union européenne et ses Etats membres, dont bien évidemment la Belgique, se mobilisent pour appuyer et soutenir ces mouvements démocratiques. Bien conscients de la spécificité de la situation de chacun des pays concernés, notre espoir est néanmoins que la Tunisie continue à pouvoir servir d’exemple de transition démocratique réussie.
Sur le plan humanitaire, les mouvements de population ont fait apparaitre d’important flux de réfugiés dans les pays de la région, notamment en Tunisie et en Egypte. Cette urgence humanitaire nécessite un appui belge: sur notre impulsion commune, la Belgique a décidé de soutenir le Comité International de la Croix Rouge (CICR) dans ses actions humanitaires d’urgence en Tunisie. Nous resterons bien entendu attentifs à l’évolution de la situation pour limiter autant que possible la crise humanitaire, comme en témoigne le déploiement par le gouvernement d’un Airbus de la défense pour le pont aérien mis en place par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui doit évacuer les réfugiés échoués à la frontière entre la Tunisie et la Lybie.
Sur le plan politique, la Belgique a pris l’initiative au sein de l’Union européenne à Bruxelles, au Conseil des droits de l’homme à Genève, et à l’Assemblée générale des Nations unies à New York, d’envoyer un message unanime et clair de la communauté internationale au régime du Colonel Kadhafi sur son écrasante responsabilité vis-à-vis de sa population. En plus de la suspension du régime du colonel Kadhafi à Genève, ainsi que des sanctions et de l’embargo sur la vente d’armes imposés, y compris par l’Union européenne, la Belgique soutient la saisine de la Cour pénale internationale de la situation en Lybie et reste ouverte à toute nouvelle sanction qui serait jugée nécessaire.
Au delà de ces réactions urgentes, le gouvernement belge, soutenu en cela par notre Parlement, prévoit avec ses partenaires européens de continuer à exprimer sa solidarité avec ces hommes et femmes qui ont changé le cours de leur histoire, en investissant dans l’accompagnement des processus démocratiques dans le monde arabe. Pour notre pays, ce soutien doit être accordé dans le respect de la souveraineté des peuples et des principes d’efficacité de l’aide et s’inscrit dans un processus d’appui et d’accompagnement de mouvements démocratiques endogènes.
Si la démocratie se caractérise par un certain nombre de principes généraux universels, un bref exercice de comparaison limité à nos partenaires européens nous rappelle déjà qu’elle se décline nécessairement de manière spécifique dans chaque pays. Il ne s’agit donc pas d’importer des modèles ou d’apprendre aux peuples arabes le « b.a.ba » de la démocratie, mais bien d’accompagner un processus long et complexe, qui dépasse largement la condition nécessaire, mais pas suffisante de l’organisation d’élections libres et transparentes. Loin de tout paternalisme ou néocolonialisme, les contacts que les diplomaties européennes entretiennent déjà avec les représentants de la société civile doivent encore être accrus et combinés à une utilisation plus efficace des instruments existants au service de l’approche différentiée par l’Union européenne des évolutions de ses partenaires arabes.
En matière de coopération, la Belgique privilégie l’appui aux structures déjà en place afin d’éviter de complexifier la coordination ou de diminuer l’efficacité par l’ajout de nouveaux acteurs. Notre pays travaille par ailleurs étroitement avec trois pays dans le monde arabe qui sont l’Algérie, le Maroc et les Territoires Palestiniens. Même si ces trois pays se situent à des niveaux différents en termes de droits de l’homme et de démocratie et qu’ils ne font pas le cœur de l’actualité de démocratisation du monde arabe, l’accompagnement démocratique est un processus structurel de long terme qu’il serait irresponsable de n’appuyer qu’en période de crise. Au-delà de programmes structurels en appui au renforcement de l’Etat de droit ou du fonctionnement démocratique d’institutions notamment parlementaires, notre coopération travaillera au renforcement de la société civile locale, base de tout processus démocratique. S’agissant du soutien à cette transition démocratique, la Belgique a également plaidé auprès de ses partenaires pour une implication accrue du Parlement européen et des parlements des 27 Etats membres.
Enfin, renforcer et soutenir la société civile pour la défense et le respect des droits de l’homme, la liberté d’expression et d’association ou encore la liberté de la presse est un des ingrédients de base de la démocratie qui continuera à figurer parmi les priorités d’action de notre diplomatie et de notre coopération au développement. Nous sommes déterminés à y travailler ensemble. La coopération belge prévoit d’intervenir de manière régionale en travaillant notamment en partenariat avec des institutions de gouvernance clés dans le monde arabe, y compris le parlement, le système judiciaire, les organisations de la société civile, sur trois domaines clés de la bonne gouvernance: la participation, l’Etat de droit et la transparence, et la redevabilité.
L’Europe et la Belgique se doivent d’être à la hauteur des aspirations de liberté et de démocratie des populations du monde arabe. La disparition d’une dictature n’entraîne pas automatiquement la mise en place d’une démocratie. Le chemin de la démocratie est long et il conviendra pour l’Europe et les Etats membres d’accompagner l’institutionnalisation de la démocratie pour veiller à ce que les aspirations des peuples ne soient pas trahies.
Steven Vanackere
Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères
Olivier Chastel
Ministre de la Coopération au développement, chargé des affaires européennes