J’ai déclaré récemment que le libéralisme était social par essence. Dans l’Echo, Laurent Uyttersprot, doctorant en science politique, affirme que ce n’est pas le cas et qu’il faut impérativement accoler au vocable « libéralisme » le mot « social » afin de le distinguer du « libéralisme sauvage dont personne ne veut ».
Ce débat a pour enjeu la définition même du projet de société que nous défendons au MR. Je pense que la conception que défend ici mon contradicteur est celle de la social-démocratie et non celle du libéralisme. C’est évidemment son droit le plus strict d’exprimer cette conviction mais je pense qu’il cesse d’être un libéral quand il affirme que le libéralisme doit être « corrigé ». En effet, le libéralisme est un projet cohérent qui contient en lui-même les valeurs et les principes lui permettant d’éviter les dérives et n’a nul besoin d’une « correction » social-démocrate extérieure pour lui conférer pertinence et dignité.
La doctrine social-démocrate est une doctrine respectable mais ce n’est pas la doctrine libérale. Economiquement, les sociaux-démocrates appliquent, depuis des décennies, des recettes keynésiennes d’une efficacité très relative pour relancer l’économie. Politiquement, les sociaux-démocrates confient à l’Etat des missions qui pourraient être assurées de manière plus efficace et à moindre coût par le secteur privé. Philosophiquement, les sociaux-démocrates pensent que la redistribution est indispensable pour assurer la justice sociale.
Développons ce dernier point. Les libéraux sont très attachés au modèle social. Cet attachement est d’ailleurs bien antérieur à celui des sociaux-démocrates et des socialistes. Antérieur aux premiers parce qu’ils étaient trop conservateurs à l’époque et antérieur aux seconds parce qu’ils n’existaient pas encore. Il y a 154 ans, pour la première fois en Belgique, le Premier ministre libéral Charles Rogier présentait un projet de loi interdisant le travail des enfants de moins de 12 ans, limitant la journée de travail à 12 heures et instituant une inspection du travail. Près de 20 ans furent nécessaires aux libéraux pour vaincre les réticences du parti catholique et faire adopter ce projet en 1878. En 1850, un autre libéral, Walthère Frère-Orban, ministre des finances, créait le Crédit communal pour financer les investissements publics locaux, puis, en 1865, la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite. Ni le Parti Socialiste ni son ancêtre (le POB), n’existaient encore quand furent posées les bases de notre modèle social… Par la suite, avec l’aide des socialistes, nous avons joué un rôle déterminant dans l’édification de ce modèle social : ainsi, l’ONSS fut créé en 1944 selon le plan du bruxellois Roger Motz, président du parti libéral, lui-même inspiré du pacte social anglais du libéral William Beveridge. Les mesures de l’actuel gouvernement fédéral visent à sauvegarder ce magnifique héritage menacé de faillite et cela, d’une part, par une réforme fiscale en gestation et, d’autre part, par un assainissement des finances publiques. En tant que ministre du budget, je me suis employé ces dernières années à définir la trajectoire budgétaire que poursuit l’actuel gouvernement et qui nous ramènera à l’équilibre budgétaire en 2018.
En quoi, nous libéraux, nous distinguons-nous sur ce point des sociaux-démocrates ? Laurent Uyttersprot fait référence à John Rawls. Ce grand auteur américain est certes un « liberal » mais au sens anglo-saxon du terme. Son ouvrage, « Théorie de la Justice », est la bible des sociaux-démocrates. John Rawls a beaucoup travaillé sur la notion de « justice sociale » parce qu’il considère que redistribuer la richesse est une question de « justice ». Le libéralisme est, quant à lui, en faveur de la redistribution mais pas pour des raisons de « justice ». Il l’est parce qu’il favorise la solidarité. Il l’est non pas parce qu’il considère « injuste » que certains gagnent plus que d’autres mais parce qu’il pense qu’il est moralement souhaitable que les plus riches aident les plus pauvres. Il l’est non pour réparer une prétendue injustice mais par souci d’assurer à chacun une existence digne.
Il est vrai que les différences de revenus s’expliquent en petite partie par le hasard (certains héritent, certains bénéficient, dès leur plus jeune âge, d’une éducation soignée, d’une sollicitude attentive et intelligente de leurs parents, certains ont plus de facilités que d’autres, etc.) mais ces facteurs qui tiennent du hasard ne jouent que pour une part limitée dans le destin professionnel des personnes. En effet, dans une société moderne basée sur la performance, même ceux qui sont avantagés au départ devront travailler dur par la suite s’ils désirent exercer une profession valorisante et rémunératrice. Par ailleurs, les taux d’imposition très élevés et les droits de succession très lourds font généralement fondre les patrimoines et – si on met de côté les cas exceptionnels de très grandes fortunes – empêchent leur transmission au-delà d’une ou deux générations. La vérité, c’est que les différences de revenus s’expliquent surtout et avant tout par des choix témoignant de la seule volonté des individus : certains ont beaucoup travaillé pour acquérir titres, compétences et diplômes, certains travaillent beaucoup plus que d’autres ou exercent des activités économiquement beaucoup plus pénibles, plus absorbantes et plus risquées (entrepreneurs, indépendants, artisans, restaurateurs, petits commerçants, etc.), certains sacrifient plus de choses (loisirs, vie sociale, famille, etc.) aux exigences de leur vie professionnelle, certains anticipent et satisfont mieux les besoins et désirs de la population, certains testent, imaginent, inventent, etc. Ces gens, en gagnant de l’argent, ne se rendent coupables d’aucune « injustice » vis-à-vis de la société. L’injustice, c’est plutôt celle consistant à taxer aussi lourdement que ne le fait notre pays ces créateurs de richesses.
Nous entendons utiliser des recettes différentes que celles qui ont prévalu ces dernières décennies. Ainsi, mon contradicteur a raison de souligner que les entreprises ne vont pas nécessairement embaucher des gens uniquement parce que le gouvernement fédéral réduit les charges patronales de 33 à 25%. Mais si, comme semble le suggérer mon contradicteur, on conditionnait cette réduction à la création d’emplois, cela créerait des effets pervers. Imaginons une entreprise contrainte de se restructurer pour telle ou telle raison : si on lui impose une fiscalité plus lourde (ou, pire, des remboursements « d’aides »), on risque de précipiter son déclin. Déjà, de nombreuses entreprises a priori parfaitement viables risquent la faillite en raison des coûts de licenciements qu’elles doivent supporter. Limiter les réductions de charges aux entreprises qui créent de l’emploi conduirait à une forme de darwinisme économique par lequel les charges seraient plus légères pour les entreprises en bonne santé et plus lourdes pour celles en difficulté ! Diminuer ces charges n’est pas un « cadeau » fait aux entreprises mais l’atténuation d’une situation injuste qui pénalise les créateurs de richesses. L’entreprise est mieux placée que le gouvernement pour savoir quel usage faire de ses ressources. Inciter plutôt que contraindre. Responsabiliser plutôt que réglementer. Simplifier plutôt que contrôler. Ce sont là des recettes libérales.
Affirmer, comme le font les sociaux-démocrates, que redistribuer les richesses est une simple affaire de justice conduit à ôter tout mérite moral à ce mécanisme permanent de solidarité que nous devons à la création de richesses inhérente au libéralisme. Seules les démocraties libérales ont permis de créer un système social aussi généreux et performant à tous les points de vue. Pas de modèle social sans création de richesses. Voilà pourquoi le libéralisme est naturellement social.